Le Bonheur, cela se mérite !

Les endorphines sont libérées par le cerveau, et plus précisément par l'hypothalamus et l'hypophyse dans les situations de stress, qu'il soit psychologique ou physique, mais de façon plus significative pendant et après l'exercice physique. Cette morphine endogène (produite par l'organisme) découverte en 1975 par les Écossais - possède une structure moléculaire proche de celle des opiacées. Une fois sécrétée, elle se disperse dans le système nerveux central, les tissus de l'organisme et le sang. Sa concentration peut être évaluée par des prises de sang.
"La quantité d'endorphines augmente pendant l'exercice et atteint cinq fois les valeurs de repos, 30 à 45 minutes après l' arrêt de l'effort, précise le Dr JeanPierre Voignier, médecin physiologiste du sport à la clinique Victor Hugo. Mais cela n'est pas de tout repos, car le taux d'endorphines est directement lié à l'intensité et à la durée de l'exercice, mais aussi à l'activité physique.".
Les sports d'endurance sont les plus "endorphinogènes" : le jogging, le vélo, la natation, les balades en raquettes ou en ski de fond, les sports en salle, type cardio training (rameur, tapis de course) ; mais aussi le cycling, l'aérobic, le step ; les activités à efforts fractionnés, ce que le s sportifs nomment "l' interval training " football, 1, rugby, basket ou handball.
Il ne suffit pas de courir pour goûter aux endorphines : il faut maintenir l'effort pendant une demi heure gardant un rythme dit "confortable". c'est à dire supérieur à 60 % de ses capacités respiratoires. Pour vous permettre d'évaluer votre " allure de confort", gardez un rythme tranquille, pas trop soutenu. Vous devez être capable de tenir une conversation. Une performance à la portée de tous, et a fortiori si vous bénéficiez de certaines conditions. Une enquête américaine. menée par la Floride State University auprès de soixante coureurs, a montre: que l'absence de distraction, une temperature fraîche et sèche favoriseraient la production de ces "peptides opioïdes", ou enképhalines, autres noms que leur donnent les médecins.

Un effet euphorisant

En 1984, une étude menée par des médecins américains a identifié dans la littérature sportive vingt sept expressions ou qualificatifs décrivant cet état particulier. Parmi les plus fréquemment utilisés : euphorie, spiritualité, puissance, grâce, déplacement sans effort, vision momentanée de la perfection, flottement dans l'irréel. C'est ce que les entraîneurs appellent "l'extase du coureur", souvent décrite par les sportifs de haut niveau.
Véronique n'est pas une athlète, mais quel que soit le temps, elle enfile ses baskets et s'accorde une heure de jogging tous les deux à trois jours. "C'est vital pour mon équilibre affirme-t-elle. La première demi-heure, je peine parfois pour garder le rythme et puis, progressivement, je suis submergée par une sensation de griserie. J'ai l'impression d'être plus farte mentalement, plus lucide aussi. Il m'arrive de résoudre certains problèmes en courant. A ces instants, je me sens galvanisée, prête à en découdre, y compris à demander une augmentation à mon directeur, s'amuset elle, et cet état persiste après l'arrêt."

Un effet anxiolytique

"Ce n'est que lorsque je suis très concentrée que j'éprouve de bonnes sensations, précise Christine Malle, championne de France de marathon. Au terme d'une demi heure de course, j'ai une sensation de libération, j'ai l'impression de me renforcer intérieurement. Toutes mes idées noires s'évanouissent. Plutôt que de recourir aux médicaments psychotropes, je suis convaincue que les personnes à tendance dépressive ou anxieuse devraient pratiquer un sport."
C'est également l'avis du Dr Jean Claude Jouanin, chercheur à l'Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées à Brétigny sur Orge. Il confirme les nombreuses études indiquant que "les sportifs réguliers sont moins sujets au stress que les non sportifs". "L'effet anxiolytique reconnu de la morphine s'applique également aux endorphines, ajoute t il, mais pour diminuer l'anxiété, l'intensité de l'exercice est un paramètre important."
Pas moins de sept expériences menées en 1987 par des chercheurs en médecine du sport à Washington ont démontré que la réduction du niveau d'anxiété n'était effective qu'en effectuant une activité physique à 70 % de sa fréquence cardiaque maximale, et ce pendant vingt minutes. IL faut donc tenir la distance.
Pour savoir si vous avez le bon rythme, arrêtez vous brusquement de courir et prenez immédiatement votre pouls , munissez-vous d'un cardiofréquencemètre qui capte les signaux électriques du coeur et affiche votre rythme cardiaque sur le cadran d'un bracelet montre.
Dès lors, vos soucis s'envolent et cet effet anxiolytique persiste pendant deux à six heures, selon les spécialistes. "Ces résultats indiquent clairement que l'activité physique pratiquée chaque jour parvient non seulement à réduire l'anxiété, mais aussi à prévenir le déclenchement de l'anxiété chronique", concluent les psychologues Robert S. Weinberg et Daniel Gould.
Les endorphines ne sont cependant pas les seules impliquées. Il existe en effet d'autres neuromédiateurs, notamment la sérotonine, qui exerceraient également un rôle antidépresseur.

Un effet antalgique

Tout comme la morphine, largement utilisée en médecine pour ses effets antalgiques dans les douleurs rebelles, les endorphines possèdent les mêmes propriétés. "Elles agissent de façon identique en se fixant sur des récepteurs spécifiques qui bloquent la transmission des signaux douloureux et réduisent la sensation de douleur, explique le Dr Jean Frédéric Brun, endocrinologue et chercheur à l'hôpital Lapeyranie, à Montpellier. Elles élèvent le seuil de la douleur et cet effet dure quatre heures après leur sécrétion."
De nombreux médecins du sport ont pu constater, au cours de leur exercice, les effets étonnamment puissants de ces molécules qui parviennent à masquer les douleurs les plus importantes. Exemples ? Lors des mêlées, les rugbymen ne ressentent pas les coups ; cet effet "anesthésiante se prolonge quelques heures après le match. C'est comme l'histoire de ce skieur auquel des secouristes ont remis en place l'épaule sans qu'il n'éprouve aucune souffrance ! "Je me souviens d'un cycliste professionnel, raconte le Dr Jean Pierre Voignier, remonté à bicyclette après sa chute. Il ne se plaignait d'aucune douleur alors que j'ai découvert à la radiographie, quelques jours plus tard, une fracture du cal du fémur."
Pour les professionnels, ces antalgiques naturels constituent un formidable atout. "En. inhibant les douleurs d'origines musculaire ou tendineuse pendant l'effort, les sportifs peuvent maintenir leurs performances", constate le Dr Jean Frédéric Brun. Mais, et c'est le revers de la médaille, certains signes de douleurs coronariennes ou d'infarctus peuvent également être masqués par cette libération d'endorphines, ce qui peut avoir de graves répercussions.

Un effet dopant naturel

Les endorphines jouent également un rôle antifatigue. Pour permettre à l'organisme de s'adapter à cette situation de stress inhérent à l'activité physique intense, les endorphines modéreraient les fonctions cardiaque et respiratoire. Autrement dit, elles limiteraient l'essoufflement à l'effort et l'épuisement.
Dans le même regïstre, elles interviendraient dans la régulation du métabolisme des glucides, le carburant n' l des sportifs. "En favorisant la libération des corps gras (lipides, elles permettraient d'économiser ses réserves en glucose et donc de résister plus longtemps et d'améliorer ses performances à court et moyen termes", précise le Dr Jean Frédéric Brun.
Par contrecoup, cela retarde l'arrivée du second souffle, ce nouvel élan qui apparaît miraculeusement alors que vous pensiez déclarer forfait. "Jusqu'alors, vous rouliez au super, l'organisme utilisait le glucose pour lui fournir son énergie. Une fois le stock bien entamé, et seulement si vous ralentissez le rythme, explique le Dr JeanClaude Jouanin, du Service de santé des armées à Brétigny sur Orge, l'organisme mobilise le diesel, c'est à dire les corps gras (les lipides) permettant à l'organisme de se reconstituer une réserve de sucre pour continuer à avancer."

Un effet de dépendance

Les sportifs réguliers se définissent souvent comme des "accros" au sport. "Lorsque je suis contrainte d'arrêter l'entraînement, après une blessure, je suis mal dans ma peau, raconte Christine Mallo. J'ai tendance à perdre confiance en moi. J'ai l'impression d'être une autre personne. Dans ce cas là, pour apaiser cette sensation de manque, je trouve des substituts: le vélo d'appartement ou le VTT." Ce même malaise est décrit par Nicole Lévèque Sorel, championne de France de marathon des vétérans 1998 : "Depuis l'âge de 27 ans (j'en ai 48), je m'entraîne deux heures par jour. Quand je cours, je me sens heureuse, apaisée, libérée de tous mes soucis. C'est une drogue. Lorsque j'arrête, comme c'est le cas actuellement, j'ai des douleurs inexpliquées dans tout le corps. Je suis anxieuse, de mauvaise humeur et je n'arrive pas à contrôler ces excès d'irritabilité. Je dois courir, ça me démange. Je ne peux pas m'en passer."
La question qui se pose est évidemment de savoir si les endorphines créent un effet de dépendance identique à celui de la morphine. Sur ce point, les spécialistes se montrent rassurants : c'est hors de question, car les endorphines sont rapidement détruites par les enzymes de l'organisme. "Tout au plus, il s'agit d'une dépendance psychologique, avance Claire Carié, psychiatre au département médical de l' lnsep ( Institut national du sport et de l'éducation physique). Les sportifs sont effectivement très attachés aux sentiments de bienêtre et de plaisir procurés par leur activité. Ils entretiennent avec elle une relation affective très forte et difficile à interrompre lorsque c'est nécessaire."
Alors, qu'attendons nous pour enfiler un jogging et des chausser des baskets : "Le bonheur est dans le sport", à vos marques, prêts, partez !

CARINA LOUART

Capital Santé/mars 1999